Utopia, en Scop et en Scope

Utopia Pont-Sainte-Marie © Anne Faucon / Utopia

Présent dans sept villes, le réseau art et essai-recherche a dépassé cette année le million d’entrées. Fort de deux cinémas récents en pleine dynamique, et un modèle militant et convivial qui continue à faire ses preuves. 

Avec 7 cinémas – et même 9 si l’on compte les mono-écrans complémentaires d’Avignon et de Pontoise – pour un total de 29 salles, le réseau Utopia affiche, dans son ensemble, une progression de fréquentation de 3 % par rapport à 2023. Cette moyenne doit beaucoup aux ouvertures récentes de l’Utopia Borderouge (3 salles) en banlieue de Toulouse, dont les 100 000 entrées en 2024 représentent une hausse de 19,4 %, et de l’Utopia Pont-Sainte-Marie (4 salles) dans l’agglo de Troyes, qui, avec 70 000 spectateurs, est à +26 % par rapport à l’année d’avant. « Deux cinémas qui ont ouvert respectivement fin 2019 et fin 2021 et sont en train d’atteindre leur plein régime », résume Stephen Bonato, qui de son côté anime le cinéma de Bordeaux et programme l’ensemble du réseau – toujours avec l’appui de Patrick Troudet. 

Pour rappel, les salles Utopia, toutes classées avec les trois labels, « proposent globalement la même programmation, et ce sont les mêmes films qui marchent dans tout le réseau ». En 2024, Emilia Pérez, Flow et Les Graines du figuier sauvage sont arrivés en tête, et non pas Un p’tit truc en plus et Le Comte de Monte-Cristo, sortis en nationale dans certains Utopia. 

Des lieux d’échange…

À l’heure où tous les exploitants savent combien la convivialité est essentielle, la ligne militante inscrite dans l’ADN des Utopia, depuis toujours lieux de débat, « reste un marqueur très important pour nous », confirme Stephen Bonato. « Les associations nous sollicitent de plus en plus [à Bordeaux la semaine du 29 janvier, pas moins d’une rencontre débat par jour, voire deux !] et l’affluence est toujours là. » Du côté de Borderouge, Arnaud Clappier et son équipe organisent en moyenne quatre événements par semaine, dans un quartier populaire récent où ça n’existait pas auparavant. « Nous avons une forte demande des familles pour le Jeune public, et les soirées militantes touchent beaucoup de jeunes néo-féministes et néo-écolos, qui ont une énergie folle et se mélangent avec les plus âgés. » De façon générale, le vieillissement du public n’est pas un problème pour des cinémas situés principalement dans des grandes villes, « où nous travaillons étroitement avec les étudiants », souligne Stephen Bonato. « Les jeunes se déplacent beaucoup sur les films de répertoire et les séances de type ciné-club, et sans avoir besoin d’afficher un label 15/25 ! » La convivialité des lieux participe à cette dynamique, avec notamment un café dans le hall à Bordeaux ou un restaurant à Borderouge, mais pas de stand confiserie dans aucun des Utopia, qui par ailleurs ne diffusent pas de publicité à l’écran – « ce que les spectateurs apprécient » – et fonctionnent en billetterie manuelle.

… et écolo

Une démarche de sobriété poussée à l’extrême dans le cinéma de Pont-Sainte-Marie, modèle de construction et de fonctionnement écologique [voir Boxoffice Pro n°433]. Au-delà de ses performances E+ – panneaux photovoltaïques, isolation en paille, poêle à granulés… –, sa cheminée dans le hall contribue à en faire « un lieu de vie où les gens se sentent chez eux », souligne Anne Faucon, et que les toilettes sèches rendent très curieux. Elles séduisent d’autant plus quand « on explique que les toilettes humides consomment l’équivalent, en France, de 300 000 piscines olympiques et un tiers de l’eau nécessaire à l’agriculture ». Cette pédagogie permet aussi de créer de nombreux ponts avec les structures environnementales locales et le milieu scolaire, et bien sûr avec un public engagé qui soutient le projet, mais qui s’est maintenant élargi. 

De façon générale, les Utopia communiquent davantage via leur historique Gazette en papier recyclé que sur les réseaux sociaux, « que nous distribuons sur les marchés et dans les lycées, en créant de vrais liens, ce qui fait notre force », estime Anne Faucon, qui, comme tous ses collègues, œuvre aussi bien à la programmation qu’à la projection et à la caisse. 

Utopia Bordeaux, aménagé dans l’église Saint-Siméon du XIVe siècle © Utopia

Des structures indépendantes mais solidaires 

La fidélisation du public passe aussi par la carte de 10 places à 55 €, non nominative, non limitée dans le temps… et valable dans tous les Utopia. Ce fonctionnement et cette philosophie commune se retrouvent dans le statut de Scop (société coopérative et participative, gérée par les salariés) de chaque cinéma – sauf les plus récents –, fédérés via la SAS La part des anges, fondée il y a un an. Sur le principe des ententes de programmation, chaque salle verse une redevance à la société, qui elle détient la marque Utopia, regroupe la fabrication de la Gazette et la gestion du site internet, et met en commun le fonds de soutien, redistribué en fonction des besoins de chacun. Une transition entamée il y a une dizaine d’années, « en inversant le processus de nos fondateurs historiques – Anne-Marie Faucon et Michel Malacarnet – qui avaient des parts dans tous les Utopia ; aujourd’hui ce sont les cinémas qui ont des parts dans la société qu’ils ont créée », explique Arnaud Clappier.

En tant que président de la SAS, il se dit toujours « très confiant dans notre activité et la façon de la faire vivre. Même si notre économie est tendue, notre modèle s’en sort mieux que celui de la très grosse exploitation ». Son cinéma de Borderouge, qui n’a pas encore atteint son prévisionnel de 140 000 entrées, « connaît la progression normale d’un complexe qui n’a eu que trois sorties nationales sur l’année, mais qui gagne peu à peu ses spectateurs… sans les prendre aux autres », comme cela s’est vérifié lors de tandems avec l’American Cosmograph ou l’ABC du centre de Toulouse. À Pont-Sainte-Marie, « nous avons créé un nouveau public et sommes complémentaires du CGR voisin de Troyes, qui n’a pas perdu de spectateurs », estime Anne Faucon.

Si du côté du berceau d’Avignon – ouvert en 1976 –, les 201 000 entrées traduisent une baisse de 2,1 %, ou que Bordeaux, installé en 1999, progresse de 2,5 % avec 281 600 spectateurs, aucun Utopia n’a encore retrouvé son niveau de 2017/19. « Il nous manque vraiment ces 10 % d’entrées en moyenne, et l’augmentation des charges pèse beaucoup sur tous nos cinémas », souligne de son côté Stephen Bonato, qui, siégeant au CA du Scare, sait bien que la situation n’est pas isolée. Mais il suit de près le projet d’un nouvel Utopia à Cenon, dans la banlieue est de Bordeaux, imaginé avec la Ville et qui doit ouvrir dans un an. Un projet à taille humaine et engagé, lui aussi, dans une démarche de sobriété environnementale. L’exemple de Pont-Saint-Marie qui, en ce mois de janvier 2025, est déjà à +28 %, fait des petits….

Article publié dans le Boxoffice Pro n°485

Utopia Pont-Sainte-Marie © Anne Faucon / Utopia

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