Haut-lieu de culture rayonnant sur tout le Maroc, la Cinémathèque de Tanger place l’éducation à l’image, le cinéma d’auteur et la patrimonialisation des films au cœur de son fonctionnement. Rencontre avec sa vice-présidente.
C’est au sein des murs du mythique cinéma Rif, construit en 1937, racheté en 2005 par l’artiste-photographe marocaine Yto Barrada et rénové par l’architecte français Jean-Marc Lalo, que s’installe deux ans plus tard la Cinémathèque de Tanger, qui fête cette année son 15e anniversaire. « Tout en lui rajoutant une deuxième salle, il était primordial, pour le collectif d’artistes à l’initiative du projet, de conserver l’architecture du lieu », explique celle qui en a été la déléguée générale de 2012 à 2022 avant d’en assurer la vice-présidence, Malika Chaghal. « J’ai rejoint l’équipe de la Cinémathèque pour prendre part à sa mission première : la diversification des publics. Il fallait développer tout un travail de médiation culturelle qui, jusque-là, n’existait pas au Maroc ». Un travail que la vice-présidente avait auparavant mené au Galilée, à Argenteuil, et à L’Étoile, à La Courneuve, deux cinémas dont elle a été successivement la directrice pendant cinq ans.
Ainsi, elle s’inspire des dispositifs français “École et cinéma”, “Collège au cinéma” et “Lycéens et apprentis au cinéma” pour développer des projets d’éducation à l’image, en partenariat avec des lycées publics de Tanger et des associations de jeunes actives sur le terrain. « Nous allons chercher les publics éloignés de la culture, dans les quartiers excentrés, et nous les ramenons au cinéma. Ils y découvrent des films de tous genres et toutes nationalités, en version originale. Nous présentons les œuvres, concevons des livrets pédagogiques et d’autres outils à disposition de leurs encadrants. »
Des activités qui ont un coût d’autant plus important qu’elles sont toutes gratuites pour le public, dans un pays où elles ne sont que très peu subventionnées. « Notre modèle économique repose en grande partie sur les partenariats que nous mettons en place avec les acteurs impliqués dans le projet, que ce soit avec les distributeurs de films, les organismes comme l’Institut français ou Cervantes, ou encore la société de transport urbain Alsa, dont nous accueillons les enfants du personnel en échange de l’affrètement de bus. » La Cinémathèque de Tanger dispose également d’un café, dont la terrasse donne sur le Grand Socco, la place historique de la ville, et d’une boutique où sont vendus affiches de films ou t-shirts à l’effigie du cinéma, et dont les recettes participent au financement des activités.
La programmation du lieu repose intégralement sur du cinéma d’auteur, soit « de l’art et essai porteur » comme Asteroid City ou Le Bleu du caftan, soit des films sans exploitation commerciale dans le Royaume, projetés avec visas culturels et négociés directement auprès des ayants-droits internationaux. « Nous essayons généralement de passer par des intermédiaires comme l’Institut français, le Goethe Institut, voire même les services culturels des ambassades pour baisser les coûts de location. » Les films sont tantôt sous-titrés en français, en anglais et même en espagnol, « ce qui nous permet de nous adresser à toutes les franges de la population de Tanger, une ville internationale dont les liens avec la France et l’Espagne sont historiques, dans un pays où les jeunes générations sont de plus en plus anglophones », explique Malika Chaghal.
Enfin, la Cinémathèque de Tanger doit en toute logique son nom à ses activités de collecte, de conservation et de valorisation de films, en particulier amateurs, du Maroc et de tout le monde arabe. « Nous sommes une cinémathèque entièrement associative, l’équivalent d’une cinémathèque régionale en France, et nous venons en complément de la Cinémathèque marocaine » nationale, hébergée dans les locaux du Centre cinématographique marocain (CCM) à Rabat.
Quant à l’état de la diffusion cinématographique au Maroc, la vice-présidente reste « optimiste : l’évolution du secteur depuis 2012 est flagrante, et la multiplication de projets aussi prometteurs que les 150 salles du ministère de la Culture à l’horizon 2024 ne peut qu’insuffler une dynamique positive ». Mais les défis restent immenses pour ramener les publics en salles et faire vivre les films, « une tâche qui nécessite en urgence la formation de médiateurs culturels, de programmateurs, d’animateurs de salles », explique Malika Chaghal, épaulée depuis juillet 2023 par Hicham Falah, fondateur du Festival international de documentaire d’Agadir (FIDADOC) et désormais délégué général de la Cinémathèque de Tanger.
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