En introduction d’une table ronde cannoise centrée sur l’avenir des salles, Vertigo a dévoilé une étude très attendue sur les raisons qui freinent la fréquentation des salles, mais permettent aussi d’être confiant sur le retour progressif du public.
Voilà un an que les cinémas de l’Hexagone ont rallumé leur projecteur et l’occasion était toute trouvée pour faire un solide point d’étape lors du Festival de Cannes. Niveau des entrées, habitudes du public, état des lieux du marché : l’institut Vertigo a mené une enquête pour identifier à la fois le profil des spectateurs revenus en salle, et ce qui a pu freiner leurs habitudes. Car si la réouverture de mai 2021 a vu un afflux massif des spectateurs, depuis le marché n’a décollé qu’à l’occasion de quelques embellies, de la Fête du cinéma en juillet au phénomène Spider-Man : No Way Home en fin d’année, en passant par les vacances scolaires et Mourir peut attendre. Cela montre toutefois la capacité du public à se mobiliser en fonction de l’offre, comme l’a souligné la directrice du cinéma du CNC, Magali Valente. « En juillet 2021, on a atteint un niveau qui frôlait celui de 2019 » et il faut tenir compte des fortes contraintes sanitaires encore en vigueur qui ont marqué l’année passée pour relativiser le niveau des entrées. Le début d’année 2022 épouse en effet une tendance légèrement plus optimiste : en retard de 42 % en janvier par rapport à janvier 2019, la fréquentation est “remontée” à -23 % en avril, premier mois complet sans restrictions sanitaires.
Si l’on reprend les chiffres depuis la reprise de mai 2021, quelque 150 millions d’entrées ont été comptabilisées dans les cinémas français, en retrait de 28 % par rapport à la moyenne 2017-2019. Sur la seule année 2021 (95,5 millions de billets), les salles indépendantes (40,2 M) affichent un recul de 28 % contre -64 % pour les circuits (55,3 M) ; les établissements classés art et essai ont chuté de 49 %, les autres de 57 %. 32,7 millions de Français sont allés au moins une fois au cinéma : cela représente 51,4 % de la population, et certes une baisse de 16,9 points par rapport à 2019, mais encore plus de la moitié de nos concitoyens. S’agissant des tranches d’âge, les 15-24 ans ont retrouvé plus rapidement le chemin des salles, n’accusant qu’un retard de 10,5 points sur la moyenne 2017-2019. « Un chiffre à mettre en parallèle avec la politique pro-active menée en direction du public jeune, qui reste une priorité pour le CNC », a commenté Magali Valente. A contrario, « ce sont les actifs de 25-49 ans qui ont le plus déserté les salles depuis la réouverture, ce que le CNC n’avait pas du tout anticipé », a souligné Olivier Henrard, directeur général délégué du Centre, cette tranche affichant une baisse de 26 % par rapport à 2017-2019. À noter que le nombre moyen d’entrées sur le seul segment 25-34 ans chute de 64 % pour s’établir à 1,6, le plus faible niveau toute tranche d’âge confondue.
Partant de ce constat, il devenait donc nécessaire d’éclaircir les raisons de ce qui est plus une perte d’habitude qu’un désamour du public pour la salle. Vertigo a donc interrogé plus de 1 000 spectateurs entre le 2 et le 6 mai sur leurs habitudes depuis la réouverture du 19 mai 2021. Si l’on peut se réjouir que plus de la moitié des Français disent être revenus en salles au cours d’une période encore marquée par l’épidémie, reste que 48 % ont largement modifié leur comportement, 34 % déclarant y aller moins qu’avant et 14 % plus du tout, majoritairement des actifs franciliens âgés de 25 à 59 ans. Cinq raisons prédominent pour justifier ce non retour, liées à la crise sanitaire (perte d’habitude et refus de porter le masque) mais aussi structurelles (cherté de la place, préférence pour d’autres supports et faible attractivité de l’offre)… sachant que ces raison sont perméables entre elles.
La perte d’habitude
38 % avouent ainsi avoir perdu l’habitude d’aller au cinéma, un sentiment davantage avancé par les 60 ans et plus (51 %) que par les 15-34 ans (31 %), et mentionné surtout par des abonnés à des services de SVOD (42 %). Si les bandes annonces restent la source principale d’informations sur les films (54 %), le bouche-à-oreille est moins performant qu’avant-crise (29 % vs 32 % sur 2017-2019). Internet et les critiques restent aussi en retrait tandis que la publicité à la télévision, ouverte en 2020, grimpe à 38 % sans pallier totalement l’érosion des entrées. À ce sujet, l’étude sur l’expérimentation de cette publicité TV sera publiée en juillet par le CNC, qui tranchera à l’automne sur sa prolongation.
Une place jugée trop chère
36 % de ceux qui déclarent venir moins voire plus du tout en salles mettent en avant la cherté du billet de cinéma. Un sentiment principalement partagé par les 35-49 ans (47 % d’entre eux), soient ceux qui ne bénéficient pas de tarif réduit, et les 50-59 ans (45 %), issues de CSP+ (42 %) et sans carte (38 %). Si le CNC précise que le prix moyen d’une place est de 7,04 € (6,87 € avec les entrées gratuites), le cinéma restant donc le loisir le plus accessible en France, la concurrence a évolué. Ainsi, pour un ticket moyen acheté pour un film donnée, le spectateur peut en parallèle accéder à un catalogue plus fourni et moins cher sur Prime Video (abonnement à 5,99 €/mois), pratiquement équivalent sur Salto ou Filmo (6,99 €), légèrement plus cher sur Disney+ (8,99 €) voire doublé sur Netflix (13,49 €). Il existe bien entendu des tarifs réduits dans les cinémas, via des cartes multiplaces ou en fonction de l’horaire, et les salles indépendantes pratiquent par ailleurs des prix moins élevés que les circuits. Ces derniers misent davantage sur leur carte illimitée (UGC et CinéPass en tête) qui ont achevé un exercice 2021 assez moribond. Alors qu’elles représentaient 7,6 % des entrées en 2019, ces cartes ne pèsent “plus que” 6,9 % en 2021.
La préférence pour d’autres supports
Quand 48 % des spectateurs vont moins voire plus du tout en salles, 26 % d’entre eux avouent préférer d’autres supports pour regarder des films. Une raison principalement évoquée par les 15-34 ans (36 %), habitants en dehors de la région parisienne (28 %) et, surtout, abonnés à un service des SVOD (35 %). Ce n’est plus un secret, le marché du streaming a largement bénéficié des fermetures des salles et des différentes restrictions sanitaires, pendant lesquelles le cinéma a été le plus visionné sur les plateformes (plus de 25 % de la durée de visionnage mensuelle), même si les séries restent plébiscitées par deux tiers des utilisateurs. Le nombre de foyers abonnés n’a cessé de progresser entre début 2019 et fin 2021, passant de 5,9 à 10,5 millions chez Netflix, de 1,3 à 6,1 millions chez Prime Vidéo et de 2,1 (lancement en automne 2020) à 3,6 millions chez Disney+. Alors que la part des 15-24 ans s’amenuise depuis plusieurs mois pour glisser sous les 20 % depuis janvier 2022, les plus de 50 ans ont pris le chemin inverse, représentant depuis janvier 2021 entre 23 et 24 % du public de la SVOD.
Le manque d’attractivité de l’offre
« Il n’y a rien au ciné en ce moment. » Tout le monde a, au moins une fois, entendu cette petite phrase, cruelle pour le professionnel qui l’entend au regard d’une diversité des films trouvable qu’en France, et souvent rédhibitoire pour celui qui la prononce. Et dans les faits, parmi les spectateurs qui ne sont pas ou peu revenus, 23 % estiment ainsi ne pas être attirés par l’offre à l’affiche. Flirtant avec les 25 % chez les 15-24 et les 50-59, cette raison est avancée par les 60 ans et plus à hauteur de 30 %. Un sentiment également renforcé par les multiples changements de dates de grosses productions et une concentration des entrées, les 20 premiers films de 2021 captant 45 % du marché (plus haut niveau depuis 2002), majoritairement dominé par l’offre américaine dont le public est, pour moitié, âgé de moins de 35 ans (49 %). Les jeunes boudent davantage les films français (23 % du public), qui attirent essentiellement les spectateurs de plus de 50 ans (55 %).
Ces cinq raisons qui émergent parmi toutes celles avancées laissent tout de même entrevoir plusieurs leviers d’actions pour tenter de les résorber. Vertigo a donc interrogé les répondants moins présents en salles sur la typologie des films pour leur donner envie de revenir. Les comédies sont plébiscitées à 42 %, et en premier par les 35-59 ans, actifs, vivant en région parisienne et abonnés à une plateforme. Suivent les titres français (39 %), premier chez les retraités et les inactifs ; les thrillers (31 %) ; les films fantastiques (29 %), premier chez les moins de 35 ans. Ensuite, à la question : quels événements pour redonner envie d’aller au cinéma, 24 % des répondants mettent en avant des tarifs réduits, davantage cité par les 35-59 ans, loin devant des actions autour de la salle (11 %), des films (10 %) ou des retransmissions de spectacle vivant (10 %).
L’étude s’achève enfin sur l’expérience de ceux qui sont revenus autant voire plus souvent au cinéma. Et à 51 %, ils avancent avoir juste voulu venir voir un film, notamment pour les 35 ans et plus et ceux non abonnés à une plateforme. Suivent dans un mouchoir de poche les conditions de visionnage (37 %), le partage avec ses proches (36 %) et le fait de profiter d’un loisir hors de chez soi et du quotidien (34 %). Quelque 10 % mentionnent in fine la consommation de confiserie devant un film ou encore le partage de l’expérience avec des inconnus.
Partager cet article