INTERVIEW – En 2018, la Société des Réalisateurs de Films l’a choisi pour succéder à Edouard Waintrop à la tête de la Quinzaine des Réalisateurs. Avec déjà une riche expérience de programmateur, Paolo Moretti, né en 1975 en Italie, dévoile sa première sélection d’une 51e Quinzaine, particulièrement excitante !
Que représente pour vous la Quinzaine, quand vous y veniez en spectateur et comme programmateur aujourd’hui ?
Comme plusieurs générations, j’ai à la Quinzaine des souvenirs de toute une vie. C’est là que j’ai découvert des films qui m’ont marqué, dans cette atmosphère si particulière et avec cet accueil si chaleureux que l’on trouve au Palais. L’esprit de la Quinzaine, c’est d’être en perpétuelle évolution ; son rôle est de faire coexister à Cannes de nouveaux auteurs et de nouvelles propositions de cinéma, de témoigner de la modernité de certaines écritures et de leur offrir un espace.
La Quinzaine s’inscrit dans le gigantesque marché cannois. Dans un contexte où l’on croise beaucoup de vendeurs et d’acheteurs, reste-t-elle encore la Quinzaine des Réalisateurs ?
On fait tout pour ! Pour autant, sa mission est aussi de répondre aux enjeux de l’industrie. Dès ses débuts, la Quinzaine a donné à voir des visions d’auteurs très radicales, mais a su en même temps révéler leur potentiel commercial. C’est en rencontrant leur public ici que certains films ont montré qu’ils pouvaient avoir une vie dans les salles. Le contexte d’un grand festival comme Cannes peut justement révéler des dynamiques très intéressantes entre les envolées visionnaires des cinéastes et le monde du marché.
La Quinzaine est une section du Festival de Cannes ouverte au public. Est-ce important pour vous ?
C’est une dimension qui nous tient très à cœur : il y a un quota de places réservées au public. Quand un film est présenté en avant-première mondiale, il y a une interaction très pure et très intéressante avec les spectateurs, professionnels ou non. Ceux qui viennent ici sont tous cinéphiles et aucune frontière ne les sépare. Après le festival, comme les années précédentes, la programmation de la Quinzaine va voyager. Elle sera reprise au Forum des Images dans la foulée de Cannes puis à Marseille, à l’Alhambra mais aussi au Gyptis et à La Baleine cette année, puis en juin et en juillet dans une quinzaine de villes.
Vous êtes aussi exploitant : en quoi les deux activités de programmateur de salle et de festival se complètent-elles ?
C’est passionnant d’accompagner la trajectoire d’un film et un plaisir très spécial que nous ressentons avec Morgan Pokée, qui est dans le nouveau comité de sélection de la Quinzaine et programme avec moi le Concorde. Nous imaginons, dès la première mondiale, toutes les étapes de la vie d’un film et de sa diffusion, rendue possible dans un système français très efficace de soutien aux films et aux salles Art et Essai. Du festival à la salle, on pense le film comme faisant partie de ce système.
Votre première sélection s’annonce très excitante : 26 longs métrages dont 6 films français, des films de genre, beaucoup d’auteurs jamais montrés à Cannes… Aviez-vous des critères de choix particuliers ?
Le Festival est en France, aidé par la France, il est bien normal de montrer des films français et il y en avait 6 l’an dernier aussi. Et c’est leur sensibilité, particulièrement riche et inventive, qui a guidé nos choix. Tout comme pour les autres pays, ce sont les films qui se sont imposés. Finalement, beaucoup de territoires sont représentés, dont l’Afrique avec Tlamess, un film tunisien très étonnant. Quant aux films « de genre », c’est dans l’esprit du temps : beaucoup de réalisateurs sont séduits par des codes que l’on peut associer à ces films mais les intègrent à leurs univers très personnels.
On attend aussi la masterclass de Roberto Rodriguez…
Il a fait son nouveau film, Red 11, avec un budget de 7 000 dollars comme pour El Mariachi en 1992, alors qu’il venait de tourner Alita : Battle Angel avec 200 millions de dollars ! J’ai eu envie qu’il vienne partager ses idées de fabrication et communiquer son enthousiasme, qui est le même qu’à ses débuts.
Comment vous positionnez-vous vis-à-vis de films produits ou diffusés sur des plateformes ?
C’est un débat nécessaire et important, même s’il suscite ici des frictions. Nous nous appelons la Quinzaine des « Réalisateurs », nous voulons nous concentrer sur le travail des réalisateurs et avons décidé de ne pas les empêcher de montrer leurs films. Nous présentons un film cette année, Wounds de Babak Anvari (dont Under the Shadow avait été nommé au BAFTA du Meilleur film britannique en 2017), qui n’a pas été produit mais acheté par Netflix après que nous l’avons sélectionné et qui aura une sortie traditionnelle aux États-Unis.
Montrer les installations VR de Laurie Anderson (co-signées avec le créateur en nouveaux médias Hsin-Chien Huang), c’est aussi le rôle de la Quinzaine ?
Nous souhaitions à la fois retrouver Laurie Anderson, qui a marqué la Quinzaine en 1987 avec son film-concert Home of the Brave, et explorer avec elle, 30 ans après, ce monde passionnant de la réalité virtuelle comme nouveau mode de storytelling. Avec ses trois œuvres qui seront présentées gratuitement au Suquet des Artistes, Laurie Anderson réussit à s’emparer de cette nouvelle narration sans glisser dans le « technologisme » ou les gadgets, mais en gardant toute son inventivité et la poésie de son regard.
Pensez-vous que ce genre d’expérience a sa place dans les salles de cinéma, notamment pour reconquérir le public jeune qui se raréfie dans les salles Art et Essai ?
Pourquoi pas. Mais pour rajeunir leur public, la mission des exploitants est de travailler sur tous les fronts, avec une sensibilité très large. Je ne fais ce métier que depuis 5 ans et n’ai pas de leçons à donner, mais il me semble qu’un peu plus d’attention et de créativité dans la communication serait bénéfique pour tous, notamment dans l’utilisation des réseaux sociaux qui ont un grand potentiel mais sont souvent sous-exploités par les salles. Et bien sûr, cela passe par l’inventivité de la programmation : ne pas laisser une routine s’installer, brouiller les pistes, accompagner et impulser l’évolution permanente de l’image de la salle auprès du public ; surprendre sans cesse en ponctuant une programmation régulière de propositions inattendues.
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