INTERVIEW – Alors que l’industrie du cinéma se retrouve à partir d’aujourd’hui à Las Vegas pour le CinemaCon, les dirigeants respectifs de la National Association of Theatre Owners (NATO) et de la Motion Pictures Association of America (MPAA) ont discuté avec Boxoffice Pro des synergies dans l’effort de relance des cinémas.
Entretien traduit et condensé. Écoutez l’interview complète en anglais sur The Boxoffice Podcast.
Le secteur est encore confronté aux effets de la pandémie à l’échelle mondiale. Où en sommes-nous actuellement dans l’effort de redressement ?
John Fithian : La route a été difficile, pour les exploitants comme pour les studios. En 2020, nous espérions être plus avancés à ce stade [de l’été 2021, ndlr.], mais il y a des bons signes ; je pense que nous sommes à la mi-temps de la reprise. Nous avons vu de grandes productions commencer à avoir de très très bons résultats, malgré la période, et avons constaté que les spectateurs sont de plus en plus nombreux à vouloir revenir dans les salles. Mais nous devons marcher avant de courir, et il faudra probablement attendre 2022 pour retrouver le niveau d’avant pandémie.
Charles Rivkin : L’avenir semble encore un peu incertain, mais nous avons gagné beaucoup de terrain. Nous pouvons nous attendre à de grandes victoires comme à des revers, mais nous en sortirons plus forts que jamais. Notre secteur est confronté à l’une des épreuves les plus difficiles de son histoire centenaire, et il faudra du temps avant que nous puissions regarder en arrière et dire que nous avons fait l’ultime comeback.
Quels sont les principaux enseignements que vous avez tirés au cours de l’année écoulée et qui aideront le secteur à faire face aux défis actuels ?
Charles Rivkin : Nous avons tiré des leçons précieuses sur notre capacité à innover face à des défis de taille. Nous devons travailler ensemble en tant qu’industrie avec l’esprit de reconquête qui a défini notre secteurau cours du siècle dernier. Je ne suis pas la première personne à établir un parallèle entre le Covid-19 et la pandémie de grippe de 1918, mais je suis persuadée que nous serons au cœur d’une autre période faste des années 20, comme après la pandémie de 1918. À l’époque, Paramount n’avait qu’une dizaine d’années, tandis qu’AMC, MGM, Warner Bros., Disney, ont tous été fondés dans les années 1920. Et la MPAA a été créée en 1922 ; nous aurons donc 100 ans l’année prochaine. Ensemble, ces entreprises ont connu une croissance rapide et créé une industrie emblématique. Nous sommes à l’aube de quelque chose de grand. Nous allons rebondir et rebondir fort.
John Fithian : Nous avons appris tant de choses au cours de cette période, en particulier à nous préparer à l’inattendu, mais, plus important encore, nous avons appris ces leçons ensemble en tant qu’industrie. Et j’accorde beaucoup de crédit à Charlie et à la MPAA ; ils ont été à nos côtés à chaque étape du processus de soutien et de relance de notre secteur.
Vous êtes deux des plus grands défenseurs de notre secteur, mais une grande partie de votre travail n’est pas toujours visible pour le grand public. Quelles sont les mesures que vous avez prises au cours de l’année écoulée, hors de la sphère publique, pour maintenir notre secteur à flot et les gens au travail ?
John Fithian : La première chose que je citerais est la façon d’opérer en toute sécurité au sortir d’une pandémie. Cela couvre la façon dont vous produisez les films – le travail des membres de la MPAA – et la façon dont vous exposez des films – le travail des membres de la NATO. Nous avons collaboré très étroitement sur ce sujet et parfois consulté les mêmes épidémiologistes pour partager des idées sur les protocoles de sécurité à développer. L’équipe de Charlie a remis les studios en état de marche avec des protocoles de production minutieux, et nous avons remis l’exploitation en état de marche avec les protocoles Cinema Safe. Nous apprécions également énormément le soutien de l’ensemble de la communauté créative. Nous avons mené l’une des campagnes de lobbying les plus réussies des trente dernières années pendant lesquelles j’ai représenté les exploitants américains, afin d’obtenir des fonds de relance et mettre en place des allègements fiscaux. La pression en coulisses des cadres supérieurs de la MPAA, ainsi que plus de cent réalisateurs par l’intermédiaire de la Directors Guild of America a été un soutien essentiel pour les exploitants et le maintien de leur activité pendant la pandémie.
Charles Rivkin : Nous avons frappé ensemble à toutes les portes qui comptaient, du Capitole aux Assemblées des États. J’ai personnellement appelé 28 des 50 gouverneurs du pays pour plaider ma cause – en faveur des prêts et des subventions, de l’extension de l’assurance chômage… –, et veillé à ce que les cinémas soient inclus dans la loi Save Our Stages.
Faire passer le message d’un retour dans les cinémas est une tâche délicate et difficile. Quelle a été votre stratégie pour développer des efforts comme Cinema Safe et des campagnes conjointes comme The Big Screen Is Back ? Pouvons-nous nous attendre à voir davantage de ces collaborations dans les semaines et les mois à venir ?
John Fithian : Faire savoir aux gens qu’il n’y a pas de danger et qu’il est temps de revenir dans les cinémas était une partie importante, mais vous ne pouvez pas faire revenir les spectateurs si vous n’avez pas le bon produit. C’est pourquoi le partenariat avec la campagne The Big Screen Is Back a été aussi important et gratifiant. Les équipes de la MPAA et de la NATO ont été rejoints par certains dirigeants de Creative Artists Agency, l’une des plus grandes agences d’artistes de Los Angeles, pour mettre sur pied une campagne sur le retour des films et les sentiments qui l’entourent. Lancée à Los Angeles, cette campagne a été très bien accueillie. Et nous n’avons pas encore fini ; il est évident que le variant Delta a modifié l’attitude des spectateurs en matière de sécurité sanitaire au cinéma. Comme je l’ai dit plus tôt, nous sommes à la mi-temps du processus de reprise.
Charles Rivkin : Nos studios membres ont réalisé des messages d’intérêt public et ont essayé de faire passer le message. Nous sommes reconnaissants aux stars hollywoodiennes comme Tom Cruise, Arnold Schwarzenegger et d’autres qui ont montré leur amour du cinéma en se montrant et en rappelant aux gens ce que c’est que d’être assis dans le public et de vivre cette expérience inoubliable. Il est clair que la pandémie n’est pas terminée, mais je pense vraiment que le pire est derrière nous et vous allez voir de plus en plus de collaborations à l’échelle de toute l’industrie.
Nous avons compris pourquoi les films sortaient simultanément en streaming. Le défi aujourd’hui est de revenir à une fenêtre d’exclusivité salle, qui contribue également à la lutte contre le piratage.
John Fithan
Le piratage a un effet très néfaste sur les membres de vos deux organisations. Dans quelle mesure la pandémie a-t-elle exacerbé ce problème ? Que peut faire l’industrie pour redéfinir son approche de la lutte contre le piratage dans les conditions actuelles du marché ?
Charles Rivkin : C’est l’une de mes principales priorités. Le piratage a coûté environ 230 000 emplois par an et environ 30 milliards de dollars à l’économie américaine. En visitant un site pirate, on s’expose à un risque accru de logiciels malveillants, qui peuvent conduire au vol d’identité et aux arnaques financières. Une récente étude vient de montrer que le piratage d’un film avant sa sortie entraîne une baisse de 19 % de son box-office, preuve que les intérêts de la NATO et de la MPAA sont alignés. C’est pourquoi en 2017, nous avons formé l’Alliance pour la créativité et le divertissement (ACE), pour en faire la principale coalition mondiale dédiée à la réduction du piratage et à la protection de l’offre légale. Depuis un an et demi, il n’y a jamais eu autant de gens qui regardent du contenu à la maison, entraînant ainsi une augmentation du piratage. En 2020, 137,2 milliards de visites ont été enregistrées sur les sites illégaux dans le monde. La seule façon de lutter contre le piratage est d’adopter une approche globale. Cela signifie des litiges civils, une collaboration avec les forces de l’ordre, et bien plus encore. Je suis très fier que notre coalition actuelle, l’ACE, regroupe les six membres de la MPAA – Disney, Warner, NBC, Universal, Sony, Paramount et Netflix – ainsi que Amazon et Apple récemment intégrés. Ces huit sociétés forment le noyau du conseil d’administration de l’ACE, qui compte en tout 35 membres dans le monde entier. C’est un combat sans fin, mais je pense que nous faisons du bon travail.
John Fithian : La MPAA a été pendant de nombreuses années les principaux guerriers de la lutte contre le piratage. Nous jouons un rôle de soutien dans cette lutte en formant et en coordonnant nos membres et notre personnel pour essayer de le vaincre à l’intérieur des cinémas. C’est un excellent exemple de notre collaboration avec la MPAA : grâce à des filigranes inscrits dans le contenu, repérés par la MPAA, nous surveillons les lieux où les enregistrements ont lieu et nous coordonnons avec les forces de l’ordre pour essayer d’arrêter les personnes qui volent le contenu de nos écrans. En place depuis quatre ans, ce partenariat devient de plus en plus sophistiqué chaque année.
Le numérique est une autre source de piratage. Étant donné les restrictions imposées, les membres de la MPAA ne pouvaient pas monétiser leurs films uniquement sur une sortie en salles. Nous avons donc compris pourquoi les films sortaient simultanément en streaming. Le défi, alors que nous sortons de la pandémie, est que cela met une copie numérique dans les mains des pirates dès le premier jour de sa sortie, ce qui est beaucoup plus dommageable qu’une copie enregistrée à l’intérieur d’un cinéma. Aujourd’hui, nous sommes heureux de voir la MPAA à nouveau choisir la fenêtre d’exclusivité de la salle, ce qui contribue également à la lutte contre le piratage.
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