MIFC 2024 : la salle, l’éternel écrin 

La table ronde du mercredi matin 16 octobre a rassemblé,de gauche à droite, Guillaume Bachy (Afcae), Christian Bräuer (Cicae), Laura Houlgatte (Unic), Nadège Lauzzana (ADRC), Richard Patry (FNCF), et été modérée par Julien Marcel (The Boxoffice Company). © Romane Derleben-MIFC

La table-ronde du Marché international du film classique organisée dans le cadre des journées Afcae/ADRC était dédiée à l’exposition du cinéma de patrimoine en salles. Un pari gagnant à travers tout le Vieux continent, sous réserve d’un accompagnement de tous les instants.

Article paru dans le Boxoffice Pro du 23 octobre 2024.

Pour poser un cadre au-delà du cas français, l’échange modéré par Julien Marcel, fondateur de The Boxoffice Company, a débuté par la définition même du cinéma de patrimoine. Laura Houlgatte, la CEO de l’Unic est formelle : « Sur les 39 territoires de l’Union, il n’y a aucune définition commune », la caractérisation pouvant s’appliquer, selon les pays, à partir de 20 ans… ou à peine 12 mois après la sortie d’un film.

Aligné sur la définition française, l’Observatoire européen de l’audiovisuel estime que la fréquentation des films de plus de 10 ans a doublé ces quatre dernières années, passant de 0,8 % de l’ensemble des entrées comptabilisées en Europe en 2019 à 1,6 % en 2023, quand la part des films de plus de 20 ans passait de son côté de 0,5 % en 2019 à 1,3 % en 2023. Des performances en hausse qui s’observent aussi à l’échelle du territoire français, où le patrimoine a représenté 2,4 % de la fréquentation annuelle de 2023, soit 4,4 millions (M) de tickets ; les derniers chiffres les plus élevés remontant à 1997 (4,6 M d’entrées sur les 148 M de l’année). 

De la niche à la norme

Le président de la FNCF Richard Patry note, de fait, « une vraie modification du traitement de la séance patrimoine dans les cinémas ». Avec le développement de l’offre permise par le basculement numérique, cette dernière n’est plus l’apanage de quelques distributeurs, ni de quelques cinémas spécialisés, comme en atteste « l’explosion du label Patrimoine/Répertoire ces dernières années »*. Certes, avec la fin de sa monétisation, « il y aura peut-être moins de cinémas labellisés [ils étaient 443 en 2023, ndlr.], mais plus de salles feront du patrimoine », prédit de son côté Guillaume Bachy, en rappelant que ces séances joueront sur la note attribuée par la commission art et essai, donc la bonification attribuée.

« Et n’oublions pas que plus d’un million des entrées du cinéma patrimoine ont été portés par les dispositifs scolaires, qui pourraient représenter beaucoup moins demain », alerte l’intéressé, en revenant sur la zone de vigilance dans laquelle évolue l’éducation à l’image. « Nous avons la chance d’être dans un pays très cinéphile, où il y a une vraie appétence des spectateurs pour les films de répertoire. Encore faut-il en jouer pleinement et tenter des expériences qui ne sont pas forcément les plus évidentes. » Pour autant, hors de question pour le président de l’Afcae, dont le groupe Répertoire soutient une vingtaine de titres par an, de faire des propositions « muséifiées : si l’on veut se rapprocher de la cinéphilie des jeunes d’aujourd’hui, il faut que nous changions notre regard sur la cinéphilie en général. » 

Les temps modernes

Depuis 1999, la mission première de l’ADRC, que préside Nadège Lauzzana, est d’accompagner un catalogue de désormais 1 500 titres patrimoine à travers le territoire français – et dont les entrées étaient en croissance de 11 % entre 2022 et 2023. Entre le festival Play It Again de septembre et celui des Mycéliades, dont elle prépare la 3e édition en février prochain, l’Agence s’applique elle aussi à « débroussailler l’image du film classique, et à le réinscrire dans le contexte d’aujourd’hui ».

25 ans après sa première sortie, Titanic a encore embarqué les foules dans les salles, en France comme ailleurs. © Walt Disney Company

Un contexte où les attentes des spectateurs ont changé, notamment en matière de qualité des séances. « Avant, les cinéphiles étaient capables d’accepter des coupures son sur le 35 mm et autres désagréments, se remémore la présidente de l’ADRC. Aujourd’hui, la nouvelle génération attend d’une séance patrimoine la même qualité de projection que sur les inédits. » Pour Richard Patry, cette attente va de pair avec le mouvement de premiumisation des salles, et nécessite de grands efforts sur les restaurations, « comme celle du Nom de la rose dont les copies de réédition étaient peut-être encore meilleures que celles à sa sortie ! » 

Un élan à consolider

Malgré l’augmentation des séances, de leur qualité et de leurs entrées, Guillaume Bachy estime toutefois que faire du patrimoine relève encore bien souvent « de la guérilla. Certes, le travail sur les 15-25 ans porte ses fruits, mais il s’agit d’un travail à mener quotidiennement, face à la concurrence de tous les autres modes de diffusion, avec des œuvres visibles sur beaucoup d’autres supports ». Sachant que les requêtes des distributeurs sur les films d’actualité laissent, le patrimoine reste ainsi souvent le « parent pauvre » des grilles de programmation. « Or, si on veut proposer du répertoire, il faut en faire naître le désir, avec un travail semaine après semaine, et plusieurs propositions de séances, accompagnées ou pas. » 

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En attendant, l’indéniable « mouvement de fond », décrit par le président de la FNCF, est aussi à l’œuvre chez les voisins. Du petit cinéma italien qui propose du patrimoine tous les mercredi, au Prince Charles Cinema de Londres qui y dédie la quasi intégralité de sa grille, en passant par les Classics hebdomadaires des circuits Pathé et Vue aux Pays-Bas, « quelque soit leur business model, les cinémas d’Europe investissent ce terrain », observe Laura Houlgatte pour l’Unic. L’Allemand Christian Bräuer, à la tête de la Cicae ainsi que des Yorck Kinos de Berlin, décrit de son côté des soirées Classic Sneaks surprise, qui affichent des salles de 300 places complètes depuis deux ans. Avant de conclure : « Un film patrimoine est, avant tout… un film, qui permet de diversifier sa programmation et ses publics. » Ainsi, au terme d’une période de crise et post-crise sanitaire, où on a manqué d’inédits, ce cinéma d’hier a répondu présent, et ne manque certainement pas d’avenir. 

Top 5 des films patrimoine en Europe en 2023
1 | Titanic – 1997
2 | Astérix & Obélix : Mission Cléopâtre – 2002
3 | Le Seigneur des anneaux : Le Retour du roi – 2003
4 | Elf – 2003
5 | Le Seigneur des anneaux : La Communauté de l’anneau – 2001

La table ronde du mercredi matin 16 octobre a rassemblé,de gauche à droite, Guillaume Bachy (Afcae), Christian Bräuer (Cicae), Laura Houlgatte (Unic), Nadège Lauzzana (ADRC), Richard Patry (FNCF), et été modérée par Julien Marcel (The Boxoffice Company). © Romane Derleben-MIFC

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