Les indépendants à Marseille : pour la biodiversité des séances

Marc Olry (Lost Films), et Anne Pouliquen, coordinatrice des Rencontres, à l'Artplexe Canebière. © Cécile Vargoz

Les rencontres organisées par le Syndicat des distributeurs indépendants (SDI), en association avec le réseau de salles Écrans du Sud, ont mis en avant la nécessité de se former aux enjeux environnementaux, mais aussi, et surtout, de redonner de la place, du temps et des séances, aux films de toute la diversité. 

La neuvième édition du rendez-vous proposé par le SDI a eu lieu pour la première fois dans le Sud, du 18 au 21 juin, dans quatre cinémas marseillais. Dans la ville de la diversité en termes de population, le parc de salles du centre-ville s’est aussi diversifié ces dernières années, avec la reprise récente des Variétés – par Alexis Dantec des Films du Losange et Philippe Dejust –, qui travaille désormais aux côtés de l’Artplexe sur la Canebière, mais aussi La Baleine et Le Gyptis, respectivement géré et programmé par Shellac. Le distributeur et producteur indépendant est d’ailleurs basé à Marseille, comme deux autres structures membres du SDI, Les Alchimistes et Outplay. Et si, depuis 2022, les “Rencontres du SDI” s’intitulent “Rencontres du cinéma indépendant”, c’est pour marquer « notre volonté d’échanger avec nos partenaires que sont les salles indépendantes », précise Étienne Ollagnier, gérant de Jour2Fête et co-président du syndicat avec Lucie Commiot de Condor. L’édition de cette année, organisée avec l’association régionale de salles Écrans du Sud, a enregistré un nombre record de 230 inscrits, contre 150 en moyenne les années précédentes. D’autres organisations ont également participé aux ateliers collaboratifs – l’Acid, l’Afcae, le Dire, le GNCR et le Scare –, qui partagent, bien entendu, de nombreuses préoccupations avec le SDI.

Mesurer l’impact carbone de la distribution… et de la programmation des films

À commencer par l’écologie, que les secteurs de la production et de l’exploitation ont commencé à intégrer, mais peu questionnée jusqu’à présent dans celui de la distribution, comme l’ont souligné Romane Segui (Les Alchimistes) et Léo Gilles (Shellac) en introduction d’une table ronde consacrée au sujet. « Au-delà de nos pratiques individuelles en tant que citoyens, nous manquons d’expertise pour avoir une approche globale et sur le long terme », résume en effet Lucie Commiot, Marc Olry de Lost Films ajoutant que « en tant que professionnel, on réfléchit souvent plus par économie que par écologie ». Le distributeur, qui télétravaille car seul dans sa structure, s’interroge notamment sur l’impact carbone du numérique, qui concerne aussi bien la facturation que la dématérialisation des copies – « Faut-il favoriser un support physique ou le téléchargement ? Certains serveurs plutôt que d’autres ? » –, et bien sûr le marketing – « dois-je continuer à imprimer des cartes postales, à fabriquer des tote bags et, dans ce cas, comment les acheminer ? ». Quant à l‘impact des tournées de promo, tout doit être pris en compte, des distances parcourues aux moyens de transport, en passant par le logement et l’alimentation.   

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« Un cocktail pour 200 personnes avec de la viande aura ainsi une incidence beaucoup plus importante », rappelle en effet Baptiste Heynemann, délégué général de la CST mais aussi président d’Ecoprod, qui intervenait à Marseille comme spécialiste. « Même si la distribution, de façon inhérente, a peu d’impact direct sur la biodiversité, elle doit s’interroger, comme toute activité, sur ses émissions de déchets et de carbone ». Or il n’existe pas encore d’outil de mesure propre au secteur, contrairement aux autres activités de la filière pour lesquelles Ecoprod a mis en place des calculateurs. Et si les aides à la production sont aujourd’hui conditionnées à des critères environnementaux, Baptiste Heynemann souligne que pour la distribution, « rien n’est obligatoire… jusqu’à ce que cela le devienne ».

Pour s’y préparer, il apparaît donc essentiel de former tous les collaborateurs du secteur aux enjeux écolo, mais aussi de travailler en commun, avec le Dire et Europa Distribution qui ont entamé une réflexion, et avec les exploitants, qui connaissent notamment le coût énergétique d’une séance. Aussi Lucie Commiot s’interroge-t-elle : « Selon que je sorte un film dans 20 ou 200 salles et selon son nombre de séances, quel sera mon impact ? » Pour le président d’Ecoprod, « le bilan carbone d’une séance est celui de la salle, mais le distributeur du film a sa quote part de responsabilité ». Celle-ci baisse si son film a moins de séances, mais si la salle en projette un autre à la place, l’impact environnemental est le même. « Il convient donc, comme pour un avion ou pour un train, de s’interroger sur le taux de remplissage », souligne Baptiste Heynemann. Et donc de prendre en compte l’aspect polluant… du nombre de séances. 

De gros indépendants qui prennent la place aux petits ?

On sait en effet que la problématique, liée au nombre de films et de copies, s’est accentuée depuis le Covid, particulièrement pour les “petits” indépendants, qu’ils soient exploitants ou distributeurs. « Nous avons du mal à programmer nos films parce que d’autres prennent trop de place », exprimait en effet Étienne Ollagnier au nom du SDI, lors d’une rencontre avec Isabelle Gérard, représentant à Marseille le Médiateur du cinéma. Si les salles mettent en avant leur liberté de choix face au trop grand nombre de films, elles déplorent elles aussi les exigences disproportionnées de la part des plus gros distributeurs. Et ces plus “gros” ne sont pas forcément les majors américaines : certains indépendants, qui sortent des films art et essai parfois tous les 15 jours – voire deux la même semaine ! –, ont des « moyens de pression » sur les salles, selon Hugues Peysson de l’Atelier Distribution. Et quand Patrick Hernandez de Next Films souligne que « certaines salles font des choix non pas par film, mais par distributeur », Jean-Jacques Rue de JHR ajoute que « les ententes de programmation se comportent parfois de façon totalement arbitraire, ne laissant pas d’autonomie aux salles ». Il devient notamment très difficile de placer un film de patrimoine ou un documentaire à plus d’une séance par semaine, alors que les débats affichent souvent complet et que le spectateur ne peut se rattraper sur une deuxième projection. Et de façon générale aujourd’hui, « les 1 300 salles art et essai ont toutes la même programmation… voire la même que les circuits », regrette Hervé Millet de Destiny.

La réforme art et essai, pour laquelle les distributeurs du SDI déplorent de ne pas avoir été auditionnés, n’apaise pas leurs inquiétudes. « Si le système de notation des salles est une bonne idée, estime Étienne Ollagnier, la sur-pondération réservée aux films Recherche et Découverte de moins de 80 copies ne s’appliquera pas forcément à nos films. » Le risque étant que les cinémas « cochent les cases » en se limitant à programmer les films sur-pondérés. Autant de griefs qui menacent la diversité selon le Syndicat indépendant, qui souhaiterait, au-delà des saisines et des recommandations au cas par cas, une vraie régulation de la part du Médiateur du cinéma. « Nous avons obtenu l’accord de l’Autorité de la concurrence pour travailler sur un calendrier des sorties concerté, mais rien n’a avancé », regrette notamment Étienne Ollagnier qui veut remettre le sujet sur la table.

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« Pour émettre une recommandation, nous tenons à ce que toute la profession soit consultée et soit d’accord », répond Isabelle Gérard, alors que le SDI demande justement que le Médiateur ait le pouvoir de trancher… en cas de désaccord. Certes, le sujet n’est pas nouveau, mais les inquiétudes grandissent, notamment après la disparition cette année de deux distributeurs indépendants, Rezo et Urban. Il ne s’agit pas pour autant de céder au découragement, mais d’être force de proposition : les 13 films montrés durant ces rencontres en attestent, tout comme les ateliers entre exploitants et distributeurs, ou encore les speed datings organisés avec les Producteurs associés de la Région Sud. Pour réfléchir collectivement sur la nature des films, la façon de les montrer et de mesurer leurs entrées comme leur “impact”.

Se former à la transition écologique…
S’il n’existe pas de formation spécifique à la distribution, tant pour évaluer son empreinte carbone que pour changer ses pratiques, celle qui est proposée par la Commission supérieure technique (CST) et Ecoprod s’adresse à toute la filière, tout au moins pour sa partie “Les fondamentaux du dérèglement climatique”. Elle s’appuie sur La fresque du climat et permet de comprendre l’impact de chaque activité, et dès lors d’envisager des actions concrètes. La formation, sur une journée, est prise en charge par l’Afdas et autres Opco (105 € par stagiaire). Le module RSE, pour appréhender le concept de Responsabilité sociétale de l’entreprise, peut aussi intéresser les distributeurs et notamment leurs dirigeants. La CST rappelle que les intervenants peuvent se déplacer partout, et se dit ouverte pour monter des formations spéciales pour le SDI, notamment pour la réalisation d’un bilan carbone adapté à la profession. Au-delà de la demande exprimée par les distributeurs, il se pourrait aussi que, à l’instar des formations sur les VHSS, ces formations deviennent obligatoires.
… et dans tous les domaines liés à la distribution
Plus largement, un questionnaire adressé aux sociétés du SDI a montré que très peu de salariés ou dirigeants ont recours à la formation continue. On constate une méconnaissance des droits Afdas, aucune utilisation des comptes individuels de formation et très peu des comptes entreprises. Par ailleurs, il n’existe pas de dispositif de VAE (Validation des acquis de l’expérience) à la Fémis pour les distributeurs comme il en existe pour les exploitants, et il n y a pas de formation sur le marketing adaptée aux structures indépendantes… autrement dit celles qui n’ont pas d’argent. Or les besoins sont là, notamment sur l’utilisation des réseaux sociaux et de la data, ainsi qu’en gestion financière et juridique, notamment sur les obligations légales vis-à-vis du CNC.
En fonction des besoins, Anne Pouliquen, efficace coordinatrice des Rencontres, suggère de repérer des formations existantes qui pourraient s’appliquer au secteur de la distribution, ou de monter une formation spécifique, comme l’a fait le Scare pour les exploitants. À noter que Les Alchimistes travaille sur un cursus universitaire à Marseille, avec des fonds de France 2030, et qu’il existe un Master Diffusion à l’Université Montpellier.

Marc Olry (Lost Films), et Anne Pouliquen, coordinatrice des Rencontres, à l'Artplexe Canebière. © Cécile Vargoz