23 ans après leur apparition sur la scène tarifaire, les abonnements d’accès illimité au cinéma représentent toujours l’une des plus grandes innovations commerciales du secteur. Retour sur les origines d’un pari audacieux lancé par UGC en mars 2000, devenu depuis un élément structurant au service de la diversité.
Rendre à César ce qui appartient à… Virgin
Depuis le milieu des années 90, « Guy Verrecchia et Alain Sussfeld [respectivement président et directeur général historiques d’UGC, ndlr.] portaient déjà l’idée d’un abonnement illimité, mais butaient sur la problématique de la rémunération des ayants droit, avec le souci de ne pas faire porter le fardeau de la surconsommation aux distributeurs », se souvient Jean-Marie Dura. Le consultant spécialiste est, à l’époque, directeur général adjoint en charge de l’exploitation chez UGC, et planche sur le projet d’acquisition des cinémas Virgin de Richard Branson. Or, le circuit britannique, qui vient d’intégrer le groupe UGC en octobre 1999 – et sera cédé, en novembre 2004, à Cineworld –, propose, depuis mars 1999, un Mega Pass qui ne s’appelle pas encore Unlimited, valable dans l’ensemble de ses 34 cinémas au Royaume-Uni et en Irlande*. De quoi finir de convaincre l’acquéreur français de concrétiser sa carte illimitée, lui qui a observé de son côté que ses établissements les plus fréquentés sont ceux qui affichent la plus forte proportion de spectateurs utilisant ses cartes prépayées. D’autant plus que, « entre les mobiles, les salles de sport, Canal+… les forfaits mensuels sont, déjà à l’époque, entrés dans les moeurs », et que, côté remontée recettes distributeurs, Virgin a trouvé la solution du notional price… Le fameux prix de référence qui permet de rémunérer le distributeur à chaque entrée illimitée, sur la base d’un prix réduit communément admis.
Une carte et trois objectifs
Le mercredi 29 mars 2000, alors que Taxi 2 vrombit sur les écrans, la carte UGC illimitée fait son entrée en scène, au prix de 98 francs mensuels (14,94 € environ), avec un prix de référence aligné sur le tarif réduit de la carte UGC prépayée de 5 places alors en vigueur (valable 5 jours, hors week-end), soit 33 francs ou 5,03 € la place**. Une innovation marketing majeure qui, pour le circuit, doit profiter à l’ensemble du secteur, « l’idée étant de contribuer à l’augmentation générale des entrées, dans un marché qui pouvait encore grandir », souligne Jean-Marie Dura.
Par ailleurs, en gommant “l’obstacle” de la caisse et du “paiement à l’acte”, la carte illimitée incite, au-delà du blockbuster attendu, à voir d’autres films « moins convenus, commercialement plus fragiles, puisque le seul risque que prend le spectateur, en cherchant à rentabiliser son abonnement, est celui de perdre, éventuellement, un peu de son temps ». Une démarche d’autant plus naturelle chez UGC que le circuit cultive la diversité de sa programmation : « Ce n’est pas le succès des cartes illimitées qui a fait le succès de la diversité chez UGC, mais l’inverse. » Enfin, l’engagement annuel qu’implique l’abonnement (contrairement à la formule d’origine, strictement mensuelle, de Virgin) poursuit un troisième objectif : « lisser la fréquentation tout au long de l’année pour éviter une trop grande concentration sur les périodes les plus fortes ».
Crispations, multiplication et régulation
Au vu du succès de sa formule, réservée un premier temps à ses établissements parisiens et franciliens, UGC ne tarde pas à la déployer sur l’ensemble de son réseau. La levée de boucliers est également immédiate, côté exploitants, distributeurs, producteurs…. « L’innovation a été mal reçue car mal perçue par certains professionnels qui y voyaient une “machine de guerre” pour faire disparaître la concurrence et craignaient qu’elle favorise les films les plus attendus commercialement », se remémore Jean-Marie Dura. Suite à la saisine en urgence du Conseil de la concurrence, le circuit suspend dès le 9 mai 2000, pour montrer sa bonne foi, le recrutement de nouveaux abonnés en attendant l’avis du Conseil. Il sera “blanchi” le 25 juillet de la même année des accusations de pratiques tarifaires prédatrices.
Dès septembre 2000, Gaumont (avant la fusion de ses cinémas avec ceux de Pathé dans EuroPalaces) et mk2 lancent à leur tour une offre conjointe, “Le Pass”, dans leur établissements parisiens tandis que Pathé fait de même dans son cinéma de Nantes, unique ville de province où les trois grands opérateurs (Gaumont en hyper centre, Pathé et UGC en périphérie) sont en concurrence. Pathé étend vite “Ciné à volonté” à trois autres agglomérations (Nice, Strasbourg et Clermont-Ferrand). Le reste de l’histoire est celle d’une succession de développements et d’alliances, notamment avec l’exploitation indépendante, qui permettent aux formules d’abonnement illimitées, fortement réglementées via l’agrément du CNC dès 2001, de devenir un incontournable allié – et créateur – de spectateurs curieux, cinéphiles et cinéphages, assidus et fidélisés.
Illimité… mais stable
Sur leur première année complète d’usage, soit en 2001, les cartes illimitées ont généré 11 millions d’entrées, soit 6 % de la fréquentation totale. 20 ans – et une crise sanitaire – plus tard, leur impact sur le secteur reste sensiblement similaire, avec 10,8 millions d’entrées comptabilisées sur 2022, soit 7,1 % de la fréquentation totale (6,8 % en moyenne sur la période 2017-2019). Source : CNC
*avec un tarif plus élevé, 20 £/mois contre 15 £/mois, pour sa version valable également à Londres
** à l’époque, le tarif moyen d’une place de cinéma était d’environ 35,36 francs/5,39 €. Source : FNCF
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