Du 27 au 29 mars, l’Afcae a rassemblé plus d’une centaine d’exploitants et professionnels du secteur à Strasbourg autour de conférences, d’ateliers et de projections de classiques et perles méconnues du cinéma. L’occasion pour l’association de célébrer la diversité de ces œuvres, rappeler les dispositifs d’accompagnement et réitérer ses engagements en matière de répertoire, et plus largement, d’art et essai.
Avec la tenue des 23es Rencontres nationales art et essai Patrimoine/Répertoire à Strasbourg, l’Afcae poursuit sa volonté d’importer l’un des rendez-vous phares de son calendrier dans les régions, un an après l’édition bretonne à Morlaix. Dans le centre de la capitale européenne, à quelques encablures de la place Kléber, les Star et le Cosmos se sont érigés en bastions de la cinéphilie, si bien qu’ils ne pouvaient constituer un meilleur terreau pour cultiver davantage les réflexions et échanges autour de la restauration, la distribution et la programmation des films de patrimoine. Sous la houlette du groupe Patrimoine/Répertoire de l’association, les professionnels s’y sont retrouvés à l’occasion de conférences, d’ateliers et de projections.
L’événement a fait la part belle aux regards d’ailleurs ainsi qu’aux initiatives en matière d’animation et valorisation de ces œuvres ; deux des engagements les plus chers à l’Afcae sur ce volet : « Il faut fêter une cinéphilie curieuse, ouverte et sans barrières. Il faut, plus que jamais, événementialiser le répertoire, avec les forces vives de la salle et à travers des actions nationales, pour attirer et fédérer le public », expose Guillaume Bachy, président de l’association, au détour des discours d’ouverture des Rencontres.
« Le patrimoine n’est plus une niche »
Comme à l’accoutumée, l’Afcae a tiré parti de ces Rencontres pour dresser le bilan des actions menées autour du cinéma de répertoire et revenir sur l’actualité, alors que trois commissions de classement pour les salles ont déjà eu lieu. « Sur 1 305 salles classées, 425 ont le label Patrimoine/Répertoire. Elles organisent de plus en plus d’animations avec des choix de programmation diversifiée », détaille Guillaume Bachy. Dans un contexte marqué par de vives concertations autour de la réforme du classement art et essai, le président de l’Afcae a réitéré ses revendications, à savoir la « nécessité de revaloriser l’enveloppe art et essai prendre plus en considération dans le classement, les actions d’animation et de médiation ». Les questionnaires, échanges ou croisements avec les autres formes d’art, comme le jeu vidéo, ont alors été cités comme des vecteurs de cette événementialisation des séances de patrimoine. Le quiz en ligne sur la boxe dans le cinéma organisé par le médiateur de l’association territoriale le Récit en amont de la projection de When We Were Kings (Splendor Films, 30/10), le documentaire haut en couleurs sur le match entre Muhammad Ali et George Foreman en 1974, a par ailleurs démontré l’engouement du public pour ces moments d’interaction.
Les cycles et rétrospectives, à l’image de la ressortie de quatre films de Stanley Kwan le 10 avril par Carlotta, également venu présenter Nomad de Patrick Tan (26/06) au Cosmos, sont également des leviers d’actions pour renforcer la ligne éditoriale des salles : « Le patrimoine n’est plus une niche axée sur des classiques du cinéma. Il permet désormais de découvrir des cinéastes méconnus par le biais de projections de films de genre ou des marathons », complète Guillaume Bachy.
Accompagner les sorties…
Au total, près de 200 films de répertoire sont ressortis sur les écrans en 2023, tandis que l’Afcae en accompagne chaque année une vingtaine, dont la date de sortie initiale est antérieure à vingt ans. « Le service exploitation du CNC s’appuie sur ces deux décennies et nous considérons également qu’un film réédité doit avoir au moins vingt ans et être recommandé art et essai pour bénéficier d’un soutien », éclaircit Éric Miot, responsable du groupe Patrimoine/Répertoire de l’association. La poignée de rééditions projetées durant les Rencontres, et dont les sorties sont prévues tout au long de l’année, a par ailleurs démontré l’éclectisme, tant sur l’origine que sur le genre, du cinéma de répertoire : La Montagne sacrée d’Alejandro Jodorowsky (Nour Films, sortie à l’automne 2024), Partie de campagne de Jean Renoir (l’Agence du court métrage, 10/07) , Le Pot d’un million de Ryôs de Sadao Yamanaka (Bac Films, à dater) ou encore Papa est en voyage d’affaires d’Emir Kusturica (Malavida, à dater) (re)trouveront les grands écrans avec un tout nouveau matériel de promotion, parmi lequel des affiches, des bandes-annonces et des éléments marketing. D’autre part, cette diversité peut être éclairée à l’aune d’une sortie qui résonne avec l’actualité, à l’instar de La Noire de… d’Ousmane Sembène (Les Acacias, sortie 2nd semestre 2024), qui arrivera en salles dans le sillage de Dahomey, le documentaire réalisé par Mati Diop sur la restitution des trésors royaux d’Abomey au Bénin : « Tout comme le dernier Ours d’or de la Berlinale, ce film peut être montré à une génération de jeunes issus de l’immigration, qui y verront les affres et malheurs subis par leurs grands-parents durant la colonisation », indique le responsable de la programmation des Acacias, Emmanuel Atlan.
Le dispositif Mémoire des images réanimées d’Alsace (Mira) de la Cinémathèque régionale numérique prolonge l’accompagnement des longs métrages de patrimoine dans les salles d’une réflexion sur les avant-séances. « Nous avons pour but de sauver de la disparition des films amateurs réalisés par des Alsaciens par la diffusion de ces archives, notamment sur des formats courts avant les projections, dépeint Laura Cassarino, directrice de la Mira. Cela permet d’éditorialiser les films, en les abordant par une thématique, une esthétique, un territoire ou une période, et de créer ainsi une synergie avec le public. » Chacune des séances des Rencontres a donc été précédée par une de ces capsules audiovisuelles, d’une à deux minutes, chargées d’indiquer un fragment de l’identité du film en amont. Un moyen d’immerger progressivement les spectateurs, alors que l’avant-séance de Paris, Texas de Wim Wenders (Tamasa, 03/07) a vu défiler les étendues urbaines du Lone Star State.
… et le renouvellement du public
Pouvait-on, par ailleurs, rêver mieux qu’une salle comble remplie de jeunes pour la séance publique de la Palme d’or de 1984 ? À bien des égards, l’Afcae s’est enthousiasmée de « l’attrait du répertoire pour les jeunes spectateurs » ; un élément récurrent dans les échanges entre les distributeurs et les exploitants. « Le coup de cœur de février du comité 15/25 était un film de répertoire, à savoir Une histoire vraie de David Lynch. C’est un bon signe pour le renouvellement des publics », soutenaient Éric Miot et Guillaume Bachy. Si certains longs métrages peuvent paraître désuets ou exigeants, le dialogue avec des professionnels sert de boussole à la jeune génération, à l’exemple du temps d’échanges avec le cinéaste Pascal Bonitzer avant la projection Golden Eighties de Chantal Akerman (Capricci, 25/09), dont il a signé le scénario. Au même titre que la conférence sur le Napoléon d’Abel Gance par Georges Mourier, qui a offert les clés nécessaires pour appréhender le titanesque travail de restauration d’une œuvre de patrimoine. « Montrer et accompagner des classiques constitue la meilleure école pour bâtir la cinéphilie des spectateurs, c’est pourquoi il faut encourager les plus jeunes à y participer », confie, soit dit en passant, Éric Miot.
Thème d’un atelier des Rencontres, le dispositif de jeunes ambassadeurs et ambassadrices a aussi révélé son efficacité dans la création d’un lien entre la nouvelle génération et les films de répertoire. Chaque année, la Comète, à Châlons-en-Champagne, met en place un éventail d’opérations, dont des ateliers critiques et des exercices de programmation à destination des lycéens et étudiants : « Des volontaires issus d’établissements scolaires et d’universités organisent, dans le cadre du Comète-Club, une séance mensuelle dédiée à un film de patrimoine. On s’appuie sur des ressorties et des films cultes, qui doivent rester attractifs pour nos publics habituels, narre Sarah Beaufol, la responsable de la programmation du cinéma, alors que les jeunes ambassadeurs ont la charge de la promotion et la communication de l’événement. Nous avons d’ailleurs un partenariat avec le Crous, qui offre cette séance aux étudiants. » L’idée s’inscrit parfaitement dans le crédo de l’Afcae en matière de répertoire : réinventer des ciné-clubs et assumer une dimension d’éducation pour les publics.
Les regards sont dorénavant tournés vers le prochain grand rendez-vous du cinéma de répertoire, la 10e édition de Play It Again ! orchestré par l’ADRC, dont les contours ont été dévoilés lors des Rencontres. Le festival se déploiera du 18 septembre au 1er octobre 2024 dans plus de 350 cinémas autour de la thématique « Que la fête recommence ». Il sera suivi par les prochaines Rencontres professionnelles ADRC/AFCAE au MIFC, qui se déroulent pendant le Festival Lumière, fin octobre.
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