Inscrit dans la mythologie basque et l’Histoire de Navarre, le film fantastico-médiéval de Paul Urkijo Alijo, doublement primé à Sitges et cinq fois nommé aux Goya, a commencé une carrière atypique en salles au mois de mai, distribué par La Fidèle production.
Irati a été tourné en langue basque dans la forêt… d’Iraty, et a d’abord séduit, bien sûr, le public local. Sorti le 22 mai dans les cinémas du pays basque nord – au Select de Saint-Jean-de-Luz, à l’Atalante de Bayonne… – où il a été reprogrammé cet été, puis dans des cinémas aussi différents que l’Utopia Bordeaux, le CGR de Blagnac ou encore l’Écoles Cinema Club à Paris, ce film ambitieux, tant sur le fond que sur la forme, n’est pas juste une curiosité régionaliste. Deuxième long de Paul Urkijo Alijo après Errementari (sorti sur Netflix), Irati a été montré l’an dernier à San Sebastian, mais a aussi été sélectionné dans les festivals fantastiques de Sitges – où il a décroché les Prix du public et des effets spéciaux – et de Gerardmer, et a été nommé dans cinq catégories aux Goya 2023 (César espagnols). Une belle reconnaissance pour son coproducteur français, Jokin Etcheverria de la Fidèle Production. Sa société n’en est pas à son coup d’essai : elle a notamment coproduit Les Sorcières d’Akelarre de Pablo Agüero (récompensé par 5 Goya et distribué en France par Dulac en 2021) ou encore En bonne compagnie de Silvia Munt (sorti par Damned en 2023). Mais c’est la première fois que Jokin Etcheverria, aka Jok Berri, prend la casquette de distributeur, pour qu’Irati, plus atypique que ses films précédents, se déploie sur grand écran
Une distribution atypique pour un film atypique
Irati est en effet un vrai film de genre, dont la veine fantasy médiévale peut toucher le grand public, et ce dès l’âge de 10 ans. « Cette histoire d’un prince et d’une créature magique – une lamia en basque, ici une femme aux pieds d’oiseaux – est une chasse au trésor épique, mais s’appuie sur un background historique et religieux, qui offre une perspective unique sur notre culture », explique le producteur. Partant de la célèbre bataille de Roncevaux, le film en donne une autre version que celle de la Chanson de Roland, en montrant « comment Roland s’est fait écraser par les Basques, qui cohabitaient avec les Sarrazins ». À partir de là, Irati suit les aventures du premier roi de Pampelune (futur royaume de Navarre), Eneko Aritza. « Le film s’intéresse aussi au syncrétisme chez les Basques, qui ont peu à peu délaissé leur culture païenne pour le christianisme, sans oublier un côté écolo très actuel, à travers la puissante déesse Mari, qui protège les arbres de la forêt. »
Projeté en euskara sous-titré français, le film a autant intéressé les cinémas art et essai – dont le public est habitué à voir des films en coréen ou en roumain – que des multiplexes, dont les spectateurs ont été davantage surpris. Avec un budget de 5 millions d’euros – beaucoup pour un film d’auteur indépendant, peu pour un film d’aventures de cette trempe –, l’équipe a dû tourner « en mode commando », mais connaissant très bien la forêt d’Iraty et les contraintes d’un film d’époque, pour avoir déjà travaillé sur Akelarre. « Et surtout, le film a été filmé entièrement en lumière naturelle : un très beau travail d’artisan, résume Jokin, qui éblouit ceux qui connaissent la beauté des forêts des Pyrénées en automne. »
Pourtant, contrairement à Akelarre, Irati n’a pas été agréé par le CNC et il a donc été plus compliqué de trouver un distributeur français. Le producteur majoritaire, Ikusgarri Films côté espagnol, a vendu l’ensemble des droits de diffusion pour la France à FIP – spécialisé dans les films de genre –, qui a finalement opté pour une sortie VOD/DVD. « Or Irati mérite le grand écran, mais aussi d’être montré aux collégiens et lycéens », estime Jokin Etcheverria, dont deux films sont dans les catalogues des dispositifs d’éducation à l’image. Pour que le film ait une vie au cinéma, le producteur a donc ajouté le statut de distributeur à sa société et racheté à FIP les droits pour la salle. Depuis, sans budget d’édition ou de marketing dédié, il accompagne partout son film pour des séances débat. « J’ai toujours été très actif dans la promotion des films que j’ai produits, et c’est très intéressant d’être dans cette relation proche avec les exploitants, pour mieux percevoir quelles sont les opportunités du cinéma en langue basque ».
Une identité forte… qui témoigne de ce qu’est l’Europe
La production basque est en effet riche de sa diversité, bénéficiant notamment d’importants crédits d’impôt quand les films sont tournés dans la communauté autonome côté espagnol. Mais certains sont plus universels que d’autres, comme Les Sorcières d’Akelarre, avec son angle “MeToo” et un réalisateur déjà repéré (70 000 entrées France), ou 20 000 Espèces d’abeilles d’Estibaliz Urresola Solaguren (distribué par Jour2Fête cette année), « qui correspondait au public art et essai et aurait pu être tourné dans n’importe quelle langue ». Mais le producteur souligne que « nous faisons aussi des films en tant que peuple, qui, comme Irati, touche d’abord les spectateurs basques ». Rien à voir avec un “entre soi” pour Jokin Etcheverria, natif de Saint-Jean de Luz mais résidant la moitié du temps à Philadelphie : « Les basques sont particulièrement polyglottes ; quand on vit côté français, la frontière avec l’Espagne n’est que mentale et la collaboration est une évidence. Pour moi, c’est une belle occasion de réfléchir à ce qu’est l’Europe et à la façon de créer ensemble. »
Le 17 juillet dernier, le producteur et le réalisateur d’Irati étaient au Royal de Biarritz, ville basque mais néanmoins très européenne, pour présenter leur film à une salle pleine. Signe que leur fantasy mythologique, qui pour l’heure totalise 4 000 entrées France, n’a pas terminé sa vie en salles.
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