Rencontres avec Nathalie Marchak et Nicolas Bary, cinéastes de l’Arp

Nathalie Marchak (©Jimmy Seng) et Nicolas Bary (©Sarah Mangeret)

En amont des Rencontres de l’Arp qui auront lieu au Touquet du 8 au 10 novembre prochains, les cinéastes Nathalie Marchak, vice-présidente de la Société civile des auteurs réalisateurs producteurs, et Nicolas Bary, membre du conseil d’administration, évoquent les enjeux de la diversité culturelle et de la protection de ses auteurs.

Comment se préparent les Rencontres de L’Arp 2023 ? Auront-elles pour vous une saveur particulière ?

Nathalie Marchak : C’est un rendez-vous qui nous enthousiasme tous les ans, l’occasion de rassembler la profession et de parler des sujets qui sont au centre du travail de L’Arp et de ce qu’elle défend. Bien que les questions d’indépendance et de diversité de la création soient permanentes, d’autres surgissent, comme l’intelligence artificielle, autour de laquelle nous animerons un débat avec Radu Mihaileanu, aussi vice-président. Même si nous sommes tous d’accord pour dire que le modèle du cinéma français est formidable et vertueux, notre rôle est de l’adapter, sans le dénaturer, à l’évolution du secteur. 

Le financement public du cinéma a été remis en cause à plusieurs reprises cette année, notamment à travers le rapport de la Cour des comptes. Dans ce contexte, comment réaffirmer l’importance de l’exception culturelle française ?

N.M : Ce sera justement l’objet d’un grand débat sur la création, la diffusion du cinéma français, et les pistes d’amélioration. Il faut se poser les bonnes questions et revenir sur l’état de la production et de l’exposition des films, notamment en salles, avec des cinéastes, des producteurs, des distributeurs, des exploitants, des représentants institutionnels. Comment enrayer la bipolarisation entre les films à tout petit budget et les films à gros budget ? Comment accompagner la prise de risque pour qu’il y ait plus de films bien produits ? Comment renouveler les publics ? 

Nicolas Bary : Le fil rouge de l’ensemble des débats sera la recherche des justes points d’équilibre que doit viser la régulation, que ce soit entre l’attractivité et la souveraineté, entre l’innovation et les droits d’auteur, entre l’art et l’industrie, ainsi qu’entre un trop grand libéralisme et un trop grand protectionnisme, tous deux délétères pour notre création.

Pensez-vous, comme l’affirment certains observateurs, qu’il y a trop de films produits et  aidés ?

N.M : Quand on dit qu’il y a trop de films produits, on évoque souvent les films qui font très peu d’entrées en salles. En réalité, les films qui réalisent moins de 10 000 entrées représentent 1,2 % de l’activité du CNC. Il y a une part dans le cinéma, comme dans toutes les industries, de recherche et développement. Cette part, qui est finalement assez minime, est essentielle pour la découverte des talents. Justine Triet l’a très bien évoqué dans son discours qui a fait polémique à Cannes, lorsqu’elle explique que son premier long métrage, La Bataille de Solférino, avait fait très peu d’entrées (36 600). Au final, Anatomie d’une chute remporte une Palme d’or et cumule plus de 1,2 million d’entrées aujourd’hui. Les plateformes, elles, travaillent avec de grands cinéastes, qui sont nés au cinéma. Il faut préserver la diversité qui permet aux cinéastes de naître, de s’affirmer et de grandir. Trop de films ? Je crois qu’il faut relativiser et remettre les choses en chiffres et en perspective.

Au regard des grèves à Hollywood et notamment de l’intelligence artificielle, quelles sont vos pistes de législation, en Europe et en France, pour protéger davantage les droits des auteurs et la création ?

N.M : Cela rejoint la déclaration des cinéastes qui est notamment née de L’Arp et qui a été reprise, aussi bien au Festival de Venise qu’à San Sebastián, par des cinéastes du monde entier. Même si les Américains ont un système basé sur le copyright différent du nôtre, c’est la première fois que nous sommes tous solidaires. Les progrès technologiques nous obligent à réinterroger et à défendre la place de l’auteur. Les textes législatifs doivent affirmer cette place en se basant sur des principes absolus. C’est ce qui commence à être mis en place aux États-Unis : il ne peut pas y avoir de création sans auteur, ni d’œuvres totalement libres de droits. Il ne s’agit pas de refuser le progrès technologique, mais de l’intégrer, le cadrer et le réguler, pour qu’il reste un outil au service de l’auteur sans prendre sa place.

N.B : Au-delà de la technicité des débats autour de la régulation et de la législation, le vrai débat de notre siècle est celui de la place de l’homme dans la société. Nous pouvons collecter des tonnes de data, reproduire à l’infini, compiler, faire des remakes de remakes… mais où sera la sensibilité, l’émotion qui se construit, parfois avec de la fragilité ou de la vulnérabilité, pour qu’au final un film nous touche, nous fasse grandir, nous fasse changer ?

N.M : Cela nous amène sur une notion extrêmement importante que nous défendons avec vigueur à L’Arp : le cinéma doit rester un cinéma de l’offre et non de la demande. Le danger, avec une utilisation dénaturée de l’intelligence artificielle, serait de ne créer qu’en vertu de ce que les algorithmes demandent, de ce que soi-disant les spectateurs attendent. Nous défendons le fait que les plus grandes œuvres naissent alors qu’elles ne sont pas attendues par les spectateurs. Ce sont des œuvres qui surprennent et qui ont parfois du mal à se financer.

Quel regard portez-vous sur le rôle des plateformes dans la création ? Et finalement, sur la chronologie des médias aujourd’hui ?

N.M : Nous sommes très heureux du rôle que l’Europe a joué dans la directive SMA et nous avons beaucoup œuvré pour que les plateformes participent au financement de la création. Nous sommes toujours très accueillants envers tous les partenaires possibles. À présent, il faut que les plateformes respectent leurs obligations, et que l’Arcom y veille. Plus elles seront vertueuses, plus elles auront une place avancée dans la chronologie des médias. Nous avons le bel exemple de Canal+ qui est un très grand partenaire et qui a investi plus de 200 millions d’euros cette année dans le cinéma français, avec une clause de diversité. Il ne faut pas que les plateformes aient peur de participer au financement d’œuvres différentes et à pousser de nouveaux talents. Je les encourage à s’intégrer dans notre système, à soutenir et à lancer des projets divers, à aller vers plus de parité, à découvrir des talents… Elles sont en capacité de le faire.

Sur le plan de l’appareil productif et de la formation,  que pensez-vous des projets de “La grande fabrique de l’image” ?

N.B : Je suis parrain de l’École 24 et de la section cinéma de l’école d’effets spéciaux Artfx, qui accompagne le projet de création Pics Studio à Montpellier dans le cadre de France 2030. Ce plan d’accompagnement se fait avec une vraie volonté de créer des lieux qui soient des outils modernes et très à la pointe. Je trouve aussi qu’il y a un grand dynamisme et un haut niveau autour des écoles de cinéma en France. Énormément de studios étrangers viennent d’ailleurs faire leur marché en engageant de jeunes talents en sortie d’école.

N.M : Pour nous, qui défendons le cinéma français depuis des années, et alors qu’il n’enthousiasme plus autant les jeunes qu’avant, il est aussi essentiel de parler d’éducation à l’image. Pourquoi ne pas soutenir véritablement la création de ciné-clubs au sein des écoles pour forger une culture cinématographique, qui est extrêmement importante ? Les cinéastes sont prêts à soutenir de telles initiatives. Je salue la volonté politique du gouvernement qui cherche à consolider notre industrie, mais j’espère que France 2030 va aussi s’emparer du cinéma sur le plan culturel, et non seulement industriel. 

Les engagements de programmation et de diffusion, préconisés entre autres par le rapport Lasserre, ont été beaucoup discutés, notamment au Congrès des exploitants. Êtes-vous favorables à cette régulation ?

N.M : Nous sommes conscients de la difficulté des exploitants, qui doivent, dans un contexte difficile, programmer des films pour remplir leurs salles. Mais aujourd’hui, il y a des films qui disparaissent trop rapidement des écrans, sans avoir le temps de s’installer. Or justement, les films les plus inattendus naissent parfois lorsqu’ils sont récompensés en festival, mais surtout avec le bouche-à-oreille. Les engagements de programmation nous semblent essentiels pour la survie du cinéma français dans toute sa diversité. On ne peut pas dire qu’il y a trop de films produits s’ils n’ont pas la moindre chance d’exister. Un film représente des années de travail pour un cinéaste et une somme énorme d’énergies individuelles et collectives. Quand un mercredi de démarrage sonne le glas de la carrière d’un film, cela peut être très traumatisant. 

Quelle est selon vous, l’influence de L’Arp sur les orientations et décisions prises concernant le secteur cinéma et ses enjeux que nous venons d’évoquer ?

N.B : Notre objectif est de fonctionner le plus harmonieusement possible. Grâce à nos différentes casquettes, nous avons une vision panoramique des enjeux qui pourraient parfois être contradictoires. Les sujets sont complexes et il nous faut toujours trouver cet équilibre entre art et industrie. L’Arp est vraiment à cet endroit de trait d’union, avec une équipe de cinéastes aux styles artistiques et typologies de budget très différents.

N.M : La grande force de L’Arp est d’être dans la proposition. Elle a imaginé l’exception culturelle, a été à la pointe des questions sur le financement de la création des plateformes et de la directive SMA… Aujourd’hui, nous nous intéressons au sujet de l’intelligence artificielle, mais surtout, de l’affirmation de la liberté d’expression, du droit moral de l’auteur. Nous essayons de préserver le modèle vertueux que nous avons créé, que les cinéastes du monde entier nous envient, tout en prenant en compte l’industrie et ses mutations. J’invite tous les cinéastes qui s’interrogent sur ces sujets à nous rejoindre. C’est ce qui se passe avec la Déclaration des cinéastes, qui prend une ampleur internationale ! Plus on est nombreux, plus on est forts. C’est très enthousiasmant.

Propos recueillis par Marion Delique

Nathalie Marchak (©Jimmy Seng) et Nicolas Bary (©Sarah Mangeret)

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