L’Association française des cinémas art et essai souhaite réaffirmer ses positions après les échanges du Congrès de Deauville. Éducation aux images, pass Culture et relations exploitants-distributeurs, autant de sujets à remettre urgemment au centre des discussions. Rencontre avec Guillaume Bachy et David Obadia, président et délégué général de l’Afcae.
Article paru dans le Boxoffice Pro du 9 octobre 2024.
Que retenez-vous du Congrès de la FNCF 2024 et des échanges avec les pouvoirs publics et la profession ?
Guillaume Bachy : Le Congrès est toujours un moment constructif. Nous avons pu échanger autour de la réforme art et essai et réaffirmer que nous serons très vigilants à sa mise en œuvre. Cela mis à part, nous avons de fortes préoccupations. La première concerne les dispositifs scolaires d’éducation aux images. Les annonces faites par le CNC nous inquiètent. Nous constatons une volonté, poussée par les décisions du ministère de l’Éducation nationale, de diluer et appauvrir ces dispositifs. Le choix des films est discuté et les accords avec les collectivités territoriales sont aujourd’hui grandement fragilisés, avec déjà des premiers désengagements départementaux, comme dans le Nord.
En somme, ce Congrès annonce, à moyen terme, la fin des dispositifs scolaires tels que nous les connaissons. Olivier Henrard, président par intérim du CNC, a bien formulé qu’il fallait faire le deuil de ce que nous faisions auparavant. Pour les salles art et essai, qui sont le fer de lance et les maîtres d’œuvre de ces dispositifs, c’est un véritable problème. Nous ne sommes évidemment pas contre des modifications, mais nous ne pouvons pas détricoter ce que nous avons mis 30 ans à construire, et ce que le monde entier nous envie. Nous sommes la seule filière artistique à avoir des dispositifs d’éducation à l’image aussi intégrés et organisés en France, mais également dans le monde, et qui permettent à 20 % des élèves d’aller au cinéma dans leur année de scolarité.
À partir de ce constat, que faire ?
G.B : Pour commencer, dire que nous ne sommes absolument pas d’accord. Nous pouvons d’autant plus le revendiquer que les salles art et essai, dont un tiers des séances est dédié au jeune public, montrent non seulement une implication financière, mais aussi morale, citoyenne et éducative. Au nom de cet investissement d’éducation populaire, nous demandons qu’il y ait un temps de discussion mis en place par le CNC avec les deux ministères de tutelle ainsi que tous les partenaires concernés – salles de cinéma, enseignants, conseillers pédagogiques –, afin que l’on puisse vraiment échanger sur chacun des dispositifs. Nous revendiquons le droit à participer à ces discussions dans le but d’établir un état des lieux de ce qui existe, avec une volonté de progression et de modernisation.
Il nous faut motiver et remobiliser les partenaires que sont les départements, régions, mais aussi les villes qui interviennent sur les dispositifs, et leur dire à quel point former le regard des jeunes spectateurs est important. Il s’agit non seulement du renouvellement du public, mais aussi de citoyens en devenir, qui doivent être en mesure d’analyser et aiguiser leur esprit critique face à la multitude d’images et d’informations quotidiennes auxquelles ils sont confrontés. Nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis. C’est un problème, à la fois pour la filière, mais également pour la société. Dès le plus jeune âge, les enfants doivent s’imprégner des images, de la salle de cinéma, du parcours collectif qu’on leur fait vivre. Sans cela, demain, nous n’aurons plus de spectateurs en capacité d’aller voir des films un tout petit peu différents. C’est aussi cela qui est en jeu… les films de la diversité !
Lors de la rencontre avec les pouvoirs publics, vous êtes aussi intervenus sur l’utilisation qui est faite de la part collective du pass Culture. Que proposez-vous ?
G.B : Le pass Culture est financé par l’État. Depuis deux ans que nous expérimentons sa part collective, octroyée à chaque collège et lycée, il n’existe pas de cadre quant à l’utilisation des crédits dédiés. Avec le bureau et le conseil d’administration de l’Afcae, nous pensons qu’il faut remettre de l’ordre dans les propositions de séances qui affichent parfois des tarifs exorbitants pour des séances scolaires – au-dessus de 10 € – ainsi que des films qui ne correspondent pas au cahier des charges de cette part collective qui, je le rappelle, doit favoriser l’ouverture culturelle des jeunes spectateurs à la création. Nous souhaitons que l’offre soit encadrée pour correspondre à la demande du gouvernement ; la sortie scolaire doit bénéficier d’une grille tarifaire raisonnable, et les séances porter uniquement autour des films art et essai, ce qui n’exclut aucune salle. Nous permettrons ainsi aux enseignants de mieux choisir leurs films et aux exploitants de faire vivre la diversité dans leur cinémas, tout en utilisant convenablement l’argent public.
Plus largement, vous constatez que le sujet de l’accès des films aux salles, et des salles aux films, n’a pas suffisamment été abordé dans les débats. Bien qu’il s’agisse d’un sujet récurrent, pensez-vous que la relation distributeurs/exploitants a été récemment mise à mal ?
G.B : C’est un sujet primordial, dont on n’a pas parlé pendant ces trois jours à Deauville. Aujourd’hui, les salles art et essai ont encore plus de mal à avoir accès aux films qu’auparavant. La situation est d’autant plus difficile que la part de marché des films art et essai est historiquement basse depuis le début de l’année, soit 20 % contre 28 % en 2023. Je souligne que nous n’avons, pour l’heure, aucun film art et essai millionnaire, alors qu’il y en avait cinq en 2023 à la même période.
De surcroît, alors que la fréquentation remonte doucement, la concurrence avec les salles de circuit se tend : en manque de films, elles programment les titres art et essai parmi les plus porteurs. Les salles classées n’ont pas forcément eu accès aux gros films qui ont performé cet été, mais si en plus, elles n’ont pas accès aux films art et essai porteurs… nous allons vers de vraies difficultés ! Sans équilibre financier, elles ne pourront continuer à programmer les films de la diversité plus fragiles. Aujourd’hui, je suis inquiet à la fois pour la part de marché des films art et essai et la survie des petits distributeurs. Demain, si la situation se tend à nouveau – et tout nous porte à croire que ce sera le cas –, je serai inquiet aussi pour les salles que nous représentons.
David Obadia : En effet, le marché est très tendu. Quelques films à succès cachent la forêt de films qui ne trouvent pas leur public. De plus, les demandes des distributeurs en nombre de séances sont de plus en plus importantes, obligeant les cinémas à étendre leurs horaires d’ouverture pour satisfaire ces contraintes. De nombreuses séances tournent quasiment à vide, ce qui est une aberration écologiquement et économiquement parlant. Par conséquent, nous craignons que les films de la diversité – ceux qui seront majorés dans le cadre de la réforme – ne trouvent plus leur place dans les salles.
Dans ce cadre-là, nous sommes en train d’organiser une réunion – pour laquelle nous avons un accord de principe – avec les trois syndicats de distributeurs et madame le Médiateur. L’objectif est, de manière constructive – j’insiste là-dessus –, de réfléchir collectivement à une solution qui, à la fois, n’étouffe pas les exploitants et rassure les distributeurs sur la tenue de leurs films. Nous sentons que le bouche-à-oreille fonctionne dans le temps, et que certains films perdent très peu de fréquentation d’une semaine à l’autre ; une tendance observée post-Covid qui semble se confirmer aujourd’hui. Il faut que nous trouvions une bonne façon de travailler ensemble dans un climat de confiance, qui malheureusement a été cassé.
G. B : C’est une équation à multiples facteurs, qui ne va pas être facile à résoudre, mais nous devons y arriver. Nous souhaitons que cette rencontre débouche au moins sur un premier échange, calme, réfléchi, où tout le monde pourra exposer, non pas ses griefs, mais ses espoirs.
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